La guerre en Ukraine et le triangle dramatique « persécuteur – victime – sauveur »

 

« C’est la responsabilité des intellectuels de dire la vérité et de dévoiler les mensonges. » Noam Chomsky

En guise d’introduction

Chaque conflit dans le monde peut être vu sous un regard différent. L’historien la verra sous l’angle de l’histoire, l’anthropologue sous l’angle des sociétés humaines, le militaire sous l’angle de la sécurité par les armes, … C’est la diversité des points de vue qui permet de saisir la vraie réalité d’une situation. Dans cet article, je propose un regard psycho-géopolitique sur la situation en Ukraine.

La psychologie offre un regard intéressant dans la mesure où elle met en lumière des schémas inconscients qui gouvernent nos pensées et nos actions que ce soit à l’échelle individuelle ou collective. Dans cet article, je m’appuyerai sur le triangle dramatique de Karpman, un modèle de référence dans la gestion des conflits.

Le triangle de Karpman met en scène trois joueurs : le persécuteur, la victime, le sauveur. Karpman avait eu l’intuition de ce triangle en observant une pièce de théâtre où le mari maltraitait sa femme (ce qui le mettait dans le rôle du persécuteur), l’épouse était maltraitée (rôle de la victime) et, en désespoir de cause, elle trouvait dans son amant un sauveur. Dans la suite de la pièce, l’épouse se réconcilie avec son mari, et ensemble, ils deviennent les persécuteurs de l’amant qui prend le rôle de … la victime. Il s’agit donc d’un jeu à trois où les joueurs peuvent changer de rôle.

Le triangle de Karpman est aussi appelé « triangle dramatique ». Il exacerbe le conflit en créant une force centripète dont il est difficile de se libérer. Les interventionnistes sont enfermés dans leur rôle et la communication entre eux est coupée. C’est exactement ce à quoi l’on assiste dans le conflit ukrainien. Dans cet article, je vais tenter d’éclaircir le rôle de chaque acteur (Ukraine, Russie, Occident) à partir de ce modèle.

Le triangle de Karpman peut être vu sous trois niveaux de conscience différents : le niveau de conscience grossier, le niveau de conscience subtil et le niveau de conscience le plus élevé que je qualifierai de « responsable« . Le premier niveau se situe à un stade que l’on pourrait qualifier d’infantile. Le deuxième niveau met en lumière les véritables intérêts en présence. Le troisième niveau permet à chacun de faire évoluer son rôle et de sortir de la dynamique dramatique. En 2023, je situe la conscience collective dans ce conflit au niveau 1 : le niveau infantile, relayé par les medias grand public.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, un petit retour historique

 Je suis né en 1966, 20 ans après la deuxième guerre mondiale. Ma naissance en Europe de l’ouest à ce moment de l’histoire humaine m’a permis de vivre dans une ère de prospérité et de paix inégalée. Après 1945, nos grands-parents ont dit : « plus jamais cela ! ». C’est ainsi que furent créées des structures internationales pour éviter de retomber dans les horreurs de la période nazie : notamment l’ONU aux niveau mondial et la CECA au niveau européen (devenue l’Union européenne depuis). Le monde était divisé en deux camps clairement identifiés : les capitalistes d’un côté représenté par les Etats-Unis et l’Europe, et les communistes de l’autre représentés par l’Union soviétique. L’équilibre des deux camps, assuré par la dissuasion nucléaire, a permis de garantir la paix et, de là, une certaine prospérité.

Avec la chute du mur de Berlin en 1989, l’Union soviétique s’est effondrée et le bloc occidental s’est déclaré vainqueur de la guerre froide. Le capitalisme avait « gagné ». Néanmoins, le capitalisme, très compétitif, a toujours eu besoin de se battre contre quelqu’un ou quelque chose pour exister. Après 1989, l’équilibre mondial basé sur deux blocs radicalement opposés a disparu. Avec la défaite de « son ennemi », le bloc occidental a perdu une identité fondée sur sa différence. Il est progressivement devenu son propre ennemi. Les crises financières et économiques qui se sont succédées depuis reflètent un capitalisme en fin de vie qui cherche désespérément à se réinventer. Sur base de cette observation, la crise ukrainienne pourrait être devenue la suite douloureuse d’un long processus qui a démarré en 1989.

La nouvelle génération née après la guerre, et surtout à la fin du 20ème siècle, a progressivement perdu le souvenir du passé et les leçons apprises de ce passé pour éviter d’autres guerres. Nos décideurs actuels n’ont pas connu la guerre et ont préféré jouer la carte de l’escalade plutôt que celle de la négociation. Démarré il y a un an (février 2022), le conflit a pris de l’ampleur. Au fil des mois, la puissance des armes utilisées sur le terrain a augmenté. Le 21 février, le Président Poutine a suspendu le traité New Start sur le désarmement nucléaire. Des armes nucléaires vont aussi être installées par la Russie sur le territoire de son allié biélorusse. La Finlande, neutre jusqu’à présent, a rejoint l’OTAN. Des troupes ukrainiennes sont entrainées aux Etats-Unis.

Encore tétanisée par la récente crise sanitaire, l’Europe ne semble pas consciente du danger alors qu’elle a été le théâtre de guerres répétées durant des siècles. Les 30 glorieuses après 1945 ne furent qu’une parenthèse dans son histoire. L’Europe ressemble curieusement à la grenouille dans un casserole d’eau qui chauffe progressivement. La température augmente et la grenouille ne voit rien venir. Au final, la grenouille meurt ébouillantée.

Comment réagit la population européenne face à cette escalade ? Epuisée par la crise COVID, confrontée à une inflation sans précédent, elle assiste au « spectacle ukrainien » devant son écran de télévision. Au moment d’écrire ces lignes, la France est secouée socialement par la réforme des retraites. La plus grande partie de l’attention médiatique se focalise ailleurs.

Les trois acteurs du triangle

Dans le conflit en Ukraine, nous pouvons identifier clairement trois acteurs :

la Russie est le persécuteur puisqu’elle est entrée en Ukraine en violation du droit international.

l’Ukraine est la victime puisqu’elle est soumise au feu de l’armée russe.

le monde occidental est le sauveur puisqu’il fournit des financements et des armes à l’Ukraine pour défendre l’Ukraine.

Analysons plus en détail …

La Russie dans le rôle de persécuteur

Le 24 février 2022, la Russie commence son « opération spéciale » contre l’Ukraine. Elle joue donc le rôle du persécuteur dans le triangle. Les faits sont indiscutables :

  1. la Russie entre avec son armée en Ukraine (agresseur/persécuteur)
  2. l’Ukraine est violée dans ses frontières (agressée/victime)
  3. le bloc occidental vient au secours de l’Ukraine qui ne peut se défendre seule face à la puissante Russie (sauveur).

Comme je l’ai noté plus haut, ce schéma à trois joueurs peut être vu de manière très infantile : la Russie c’est le camp du mal, l’Ukraine c’est la victime qu’il faut sauver de la (méchante) Russie; l’occident, c’est le camp du bien car il vient sauver l’Ukraine.

Cette vision simpliste correspond à celle proposée dans les films à succès qui font exploser le box office des cinémas (type Avatar 2 pour rester dans l’actualité récente). Dès le départ, on connait les bons et les méchants. A la fin du film, ce sont les bons qui gagnent car ils sont dans le camps du bien. Le schéma hollywoodien des films à succès fonctionne très bien auprès du grand public. Rappelons-nous le discours prononcé par G.W. Bush sur un porte-avion après la victoire en Irak. La mise en scène faisait clairement penser au film Top Gun : « mission accomplie« . Nous voyons maintenant les conséquences de cette guerre et connaissons les mensonges qui l’ont justifié. Comme le disait récemment Dominique Villepin (ancien ministre français des affaires étrangères) dans une interview sur la 2ème guerre du Golf, il est facile de manipuler une population.

Essayons de voir maintenant comment l’histoire européenne pourrait renforcer la triangulaire de Karpman.

Après 1945, les pays de l’Est ont eu la malchance d’être du mauvais côté du rideau de fer. Ils furent privés de leurs droits fondamentaux, vivant jusqu’en 1989 sous le joug du « grand frère soviétique ». On comprend dès lors l’émotion d’un pays comme la Pologne qui s’est vue plusieurs fois dans l’histoire victime du « grand frère » russe/soviétique (le massacre de Katyn par exemple) . Cet article, qui concerne l’Estonie, pourrait s’appliquer aux autres pays de l’Est. Voici un interview télévisé du Premier ministre polonais.

Aujourd’hui, la Russie n’est plus l’Union soviétique et Poutine n’est pas Staline. Néanmoins, la peur liée au passé joue encore un rôle non négligeable. Le Président russe est actuellement accusé de crime de guerre par la Cour Internationale Pénale de La Haye. Cette accusation, même si elle n’a aucune chance d’aboutir (la Russie n’est pas signataire), rend encore plus compliquée une négociation. Négocie-t-on avec un criminel de guerre ? Il semble que certains font tout pour bloquer toute négociation future dans ce conflit.

L’Ukraine dans le rôle de la victime

La place de l’Ukraine dans le triangle dramatique est indéniable. L’Ukraine est la victime. En mars 2014, l’Ukraine s’est vue amputée de la Crimée. Elle n’a pas eu les moyens de se défendre. Depuis février 2022, elle est maintenant victime d’une nouvelle agression russe baptisée « opération spéciale ». Elle a cette fois décidé de prendre les armes avec le soutien des pays occidentaux. Elle paye un très lourd tribut face à un pays puissant, non seulement au niveau humain mais aussi au niveau de ses infrastructures.

Le Président ukrainien est un ancien acteur. Il est maître dans l’art de jouer la corde sensible de la victime et nous ne pouvons l’en blâmer. Toutes les occasions sont bonnes pour renforcer la Russie dans le camp du mal, quitte à se discréditer en s’avançant trop vite dans l’interprétation de certains évènements. Néanmoins, Comme le dit cet article, le Président ukrainien a encore une longueur d’avance sur la Russie dans la guerre médiatique qui se joue. Des pays comme la Corée du Sud analyse d’ailleurs attentivement la stratégie médiatique du Président Zelenski qui s’intègre parfaitement dans le nouveau paysage technologique actuel.

Face à la victime, la pression psychologique sur les dirigeants occidentaux est forte. Au nom des valeurs européennes, ils ne peuvent laisser la victime sans défense face au géant russe. On assiste à une surenchère entre les pays occidentaux pour celui qui fournira le plus d’aide à l’Ukraine, y compris au niveau militaire. On voit aussi les leaders occidentaux s’empresser de serrer la main du Président ukrainien en lui promettant des armements de plus en plus sophistiqués.

Il y a néanmoins un paradoxe dans l’attitude européenne : à la fois un discours fort pour aider l’Ukraine et en même temps des actions timides et non coordonnées. Quelques chars allemands, britanniques, français, américains peuvent-ils constituer véritablement une force coordonnée face à l’armée russe qui dispose d’un matériel parfaitement uniformisé ? Qui va former les militaires ukrainiens à l’utilisation de ces différents systèmes d’armement ? Le Président Zelenski n’est pas dupe de cet engagement timoré du bloc occidental et ne se prive pas de le dénoncer publiquement.

Il est aussi un élément qu’il est important de mentionner. La corruption en Ukraine était largement répandue avant l’invasion russe. Même durant l’invasion russe, des détournements de fonds ont été dénoncés. Bien que le Président Zélenski ait pris des mesures fortes à ce sujet, la corruption mine encore la crédibilité du discours ukrainien.

L’Occident dans le rôle du sauveur

En aidant financièrement et militairement l’Ukraine, le camp occidental joue le rôle de sauveur dans le triangle de Karpman. Question : pourquoi le bloc occidental intervient-il ? Sur base de quel motif ? La réponse à cette question n’est pas si claire. Dans le discours officiel, il s’agit de défendre un pays agressé par la Russie. Mais est-ce la véritable raison ? L’Europe est-elle prête à entrer en guerre contre la Russie pour un pays qui n’est ni membre de l’OTAN ni membre de l’Union européenne ? L’Europe est-elle prête à saigner sa population en imposant des sanctions contre la Russie au nom des principes démocratiques ? Pourquoi intervenir ici et pas sur les autres terrains du monde où des populations voient leur souveraineté bafouée ? Si l’on veut faire preuve d’un minimum de bon sens, il nous faut pousser plus loin l’analyse.

De la vision simpliste à la vision complexe

La vision simpliste du triangle permet d’identifier le camp du bien et le camp du mal. Mais est-ce vraiment aussi simple comme l’exprime Henri Guaino dans cette vidéo ?

Le scénario du gentil et du méchant est accessible à une population plus occupée à gérer son quotidien qu’à essayer de comprendre la complexité du monde actuel. Ceux qui manient le discours simpliste du gentil et du méchant, et ils le font avec brio, peuvent pousser la population dans la direction choisie par eux. Si la population est convaincue d’être dans le camps du bien contre le mal, elle ne s’opposera pas à l’augmentation des budgets militaires ni aux interventions armées. Il y a eu un précédent : la deuxième guerre du Golf, lancée sur l’affirmation que l’Irak était en possession d’armes de destruction massive (Discours du Général Powel aux Nations Unies en 2003). Une fois en Irak, rien n’a été trouvé. Le mal était pourtant fait. On en connaît les conséquences catastrophiques qui en ont résulté pour toute la région et qui sont encore bien visibles 20 années après. L’Irak est exsangue.

Pour sortir de la vision simpliste véhiculée par les discours officiels, il faut commencer à se poser les bonnes questions. Essayons …

Première question : la guerre a-t-elle vraiment commencé en 2022 ?

Dans les faits, la guerre a commencé en février 2022, lorsque la Russie est entrée en Ukraine. Il y a-t-il eu des signes avant coureurs qui pouvaient prévoir l’entrée de la Russie en Ukraine ? Depuis plusieurs années, la Russie avait fixé une ligne rouge au bloc occidental : pas question que l’OTAN s’élargisse jusqu’à la frontière avec la Russie. Or, l’OTAN commençait à former les militaires ukrainiens et accroître sa présence dans la région. Ecouter l’interview du journaliste d’investigation Michel Collon à ce sujet. De même l’interview de Caroline Galacteros (à partir de la minute 9) qui se pose la question du début véritable de cette guerre : 2022 ? Ou 2014, année où les accords de Minsk n’ont plus été respectés (plus de 14000 morts russophones dans la région ukrainienne du Donbass) ?

Deuxième question : le camp occidental peut-il se permettre de donner des leçons ?

Le camp occidental se situe dans le camps du bien et se pose en donneur de leçons. A-t-il pourtant assumer les conséquences de ses actions dans le passé récent comme s’interroge cet article ? La Russie peut certes être mise sur le banc des accusés pour son intervention armée en Ukraine. Pour des raisons d’égalité, le bloc occidental doit aussi accepter d’être mis sur le banc des accusés pour ses actions en Yougoslavie, en Irak et en Lybie.

Troisième question : quels sont les vrais enjeux de cette guerre ?

C’est la question fondamentale pour comprendre les mécanismes de la guerre et éviter autant que possible un point de non retour. Une guerre ne se déclenche pas par hasard. Pour comprendre ses enjeux, il faut mettre en lumière les intérêts des uns et des autres.

Il ne fait aucun doute que les Etats-Unis sont les grands gagnants de cette guerre. J’invite le lecteur à écouter cette vidéo qui ne relate que des faits. Le conflit a coupé l’Europe de la Russie, ce qui a rendu l’Europe encore plus dépendante du continent américain au niveau énergétique. Le gaz de schiste américain, honni par les écologistes européens, alimentent maintenant le parc automobile et les chaudières européennes. Aucune lumière n’a encore été faite sur l’explosion des pipelines Nordstream reliant la Russie à l’Europe. Seymour Hersh, un journaliste d’investigation américain reconnu, a mis en cause les américains.

Lorsque l’on pousse plus loin l’analyse, on peut penser qu’il y a un intérêt encore plus grand à mettre la Russie à genou : maintenir la suprématie du dollar au niveau du commerce mondial alors que la Russie vend maintenant ses matières premières … en roubles. Sadam Hussein en Irak et Kadafi en Lybie l’ont appris à leur dépens. La suprématie du dollar a permis aux Etats-Unis de vivre largement au-dessus de leur moyen (l’endettement américain a dépassé les 30.000 milliards de dollars en 2022). Une diminution significative de la part du dollar dans le commerce mondial amènerait l’écroulement du système financier occidental.

Le chercheur américain Brzezinski avait mis en évidence le rôle pivot de l’Ukraine pour sauvegarder la suprématie américaine. L’écroulement du mur de Berlin en 1989 a mis fin à l’Union soviétique. Depuis, la Russie a lentement repris sa place dans les puissances capables d’influencer diverses régions du monde. Certains à l’Ouest pourraient voir dans la guerre ukrainienne une occasion de finir le travail commencé en 1989.

Voir à ce propos cet article.

Paradoxalement, les sanctions occidentales qui visaient l’écroulement de la Russie ont accéléré la mise en place d’une alternative au dollar avec le soutien tacite de la Chine et d’autres pays. Nous sommes donc dans une transition majeure au niveau géopolitique. Nous y reviendrons.

Quels sont les autres acteurs qui ont un intérêt à cette guerre ?

Dans son discours de fin d’investiture, le Président américain Eisenhower, avait mis en garde sur la puissance du complexe militaro-industrielle et le risque qu’il pourrait représenter. Pour les vendeurs d’armes, l’Ukraine est un nouveau marché. La guerre offre un double intérêt : d’abord tester des armes de nouvelle génération sur le terrain (vitrine pour les futurs clients) et ensuite justifier l’augmentation des budgets militaires.

Qu’en est-il de la Russie ?

La Russie a mis en évidence son besoin de sécurité par rapport à l’OTAN qui s’approchait dangereusement de ses frontières. Elle a mis aussi en avant la protection des populations russophones de l’Ukraine (des milliers de mors depuis 2014).

Lorsqu’on va plus loin dans l’analyse, on peut aussi identifier un autre intérêt. La Russie a été humiliée avec l’écroulement de l’Union soviétique. Les discours de Poutine relancent le patriotisme russe en mettant en évidence la grandeur de la Russie face à la décadence occidentale. Il y a aussi des relents impérialistes dans le discours de Vladimir Poutine en considérant l’Ukraine comme faisant partie historiquement de la Russie. La guerre en Ukraine permet de renforcer l’identité nationale et de retrouver une place dans l’échiquier mondial.

Quid des perdants ?

Le grand basculement géopolitique en cours semble s’être concentré sur la malheureuse Ukraine. Les puissances ont trouvé un champ de bataille qui permet d’éviter une confrontation directe entre elles et qui met à l’abris leur population respective. L’Ukraine est le terrain de jeu de deux blocs, de deux visions du monde différentes. Le reste du monde, en spectateur, compte les points et observent avec attention qui en sortira vainqueur.

On ne peut douter que le président ukrainien se batte pour les intérêts ukrainiens. Sa stratégie médiatique actuelle offre des avancées en terme de fournitures de financements et d’armes de guerre (des missiles à portée de plus en plus longue, puis des chars et bientôt peut-être des avions). Par contre, dans la grande réorganisation géopolitique en cours, il est clairement le jouet d’intérêts qui dépassent les intérêts de son peuple. Que se passera-t-il lorsque l’Ukraine ne servira plus les intérêts américains ?

Qu’en est-il de l’Europe ?

L’Europe paye sa dépendance militaire aux Etats-Unis. Pour différentes raisons, l’Europe s’est concentrée sur son développement économique et non sur son développement militaire (lié au développement politique). Elle en paye maintenant le prix fort. Elle est obligée de suivre la ligne imposée par le protecteur américain. A l’heure actuelle, dans une guerre conventionnelle, elle serait incapable de s’imposer seule face à la Russie. On assiste toutefois à un réveil avec une augmentation spectaculaire du budget militaire de l’Allemagne et une fusion entre les forces terrestres allemandes et hollandaises.

Les sanctions contre la Russie ont aggravé la facture énergétique. L’inflation héritée de la crise sanitaire n’a fait que se renforcer. L’Europe doit maintenant acheter son énergie ailleurs et à un prix beaucoup plus élevé. Le paradoxe est que la Russie revend son pétrole en Asie, pétrole revendu ensuite en Europe à un prix beaucoup plus élevé. L’Allemagne, qui avait opté pour une énergie bon marché pour son développement économique, est sans aucun doute la plus grande perdante de la rupture avec la Russie. Dans une de ses conférences, Alain Juillet explique avec une grande clarté la rupture de l’équilibre au niveau mondial et surtout l’impact au niveau allemand.

Ce conflit peut-il se généraliser à tout le continent européen ? Pour l’instant, le « monde occidental » par son aide militaire massive dans le conflit est partie prenante dans le conflit. Récemment, le Président français a signé un traité d’alliance avec le Président ukrénien. Le Président Poutine avait parlé de l’ours russe qu’il ne fallait pas chatouiller au risque de le voir sortir ses griffes. Beaucoup n’ont pas prêté attention à ce « détail ». La Russie est en train de transformer son économie en économie de guerre et cela a déjà commencé certainement déjà plusieurs années. De fait, elle devient l’armée la plus puissante du continent.

Qu’en est-il des Etats-Unis ?

Les sanctions contre la Russie (plus accès à SWIFT, saisie des réserves de change russes, …) pourraient se retourner contre les Etats-unis et accélérer la dédolarisation de l’économie mondiale. Voire l’excellent article de Charles Gave à ce sujet.

Les russes sont des joueurs d’échec et s’étaient déjà préparés aux sanctions avant d’envahir l’Ukraine. De plus, le rapprochement avec la Chine est un échec diplomatique retentissant pour les Etats-Unis car la Chine pourrait faire pencher la balance en Ukraine. D’autres pays, dont l’Arabie saoudite (pourtant alliée de longue date des Etats-Unis), l’Inde, le Brésil, … rejoignent petit à petit le nouvel axe Russie/Chine en prévoyant leurs échanges commerciaux dans leurs devises respectives plutôt qu’en dollar. Des liens économiques de plus en plus étroits se tissent entre les BRICS (voir notamment les nouveaux accords entre la Russie et l’Iran).

Les russes ont maintenant trouver des acheteurs alternatifs pour leur pétrole et leur gaz. Dans le cas où un accord secret aurait été conclu avec la Chine et l’Inde pour vendre le pétrole russe 30% moins cher que sur le marché mondial, cela signifierait que les marchandises chinoises et indiennes pourraient être vendues beaucoup moins cher que les marchandises européennes, ce qui annonce une crise majeure pour l’économie européenne. Voir cet interview à ce sujet.

Sortir du triangle de Karpman grâce à une conscience responsable

La guerre ou la négociation ?

Tout d’abord, il est important de souligner que les puissances de la planète ne partagent pas la même vision sur l’issue du conflit. Voici les résultats d’un sondage du Conseil européen pour les relations internationales. L’occident mise sur les armes pour mettre fin à la guerre par le pouvoir des armes. Le reste du monde préconise la négociation.

Pour qu’une négociation soit lancée, il sera nécessaire dans un premier temps d’identifier tous les acteurs de cette guerre et leurs agendas. Dans un deuxième temps, les intérêts et les besoins de chacun devront être exprimés.

Quels sont les véritables besoins des acteurs ?

En ce qui concerne l’Ukraine, il est clair que c’est la sécurité. Ce pays est enclavé entre le monde occidental auprès duquel il cherche protection (OTAN) et son intégration (UNION EUROPEENNE) et la Russie avec qui elle partage des liens historiques et économiques importants.

Quant à la Russie, elle avait mis en avant son besoin de sécurité face à l’OTAN ainsi que la respect des accords de Minsk qui visaient à protéger la population russophone d’Ukraine. A l’analyse, il y aurait aussi d’autres éléments qui pourraient alimenter l’intervention russe : à la fois l’humiliation de la perte de la guerre froide contre l’occident et l’impérialisme de la grande Russie historique. Voici le discours à fort accent patriotique donné par Vladimir Poutine le 21 février 2023.

En ce qui concerne l’occident, le besoin ne semble pas très clair. Pourquoi aider l’Ukraine alors qu’il n’y a pas d’intérêt vital lié à ce pays ? Dans le discours, il s’agit de venir en aide à un pays agressé. La grande faiblesse de l’Union européenne est qu’elle avance dans un ordre dispersé. Les positions des Etats membres divergent. La Hongrie par exemple partage une position très différente sur le conflit.

Les perspectives d’une négociation

Dans le discours officiel, le camp occidental affiche qu’il veux la paix tout en fournissant des armes de guerre de plus en plus lourdes à l’Ukraine. Le message est difficile à comprendre, tant il est paradoxal. Peut-on gagner la paix par la guerre ? Est-ce la seule voie possible pour obtenir la paix ? La vérité c’est qu’il faut affaiblir la Russie dans la perspective de futures négociations. La position russe est similaire : entrer dans les négociations futures en position de force. C’est pourquoi, au 3 avril 2023, la Russie refuse toute négociation. Le résultat est une escalade militaire sur le terrain. Mais un des belligérants peut-il vraiment gagner ?

Si nous partons du principe que personne ne peut gagner cette guerre, un accord équilibré pourrait être le suivant :

  1. La Russie rend le Dombass qui devient un territoire neutre sous l’égide des Nations-Unies
  2. Les populations russophones de l’Ukraine bénéficient d’une protection spéciale des Nations-Unies
  3. L’Ukraine accepte un statut de neutralité (comme la Suisse) mais peut négocier des accords économiques avec ses voisins.

A vrai dire, vu l’escalade en cours, la perspective d’une négociation basée sur l’équilibre entre les intérêts semble s’éloigner progressivement. Il semble que l’issue serait la victoire de l’un ou l’autre camp … Avec les conséquences que l’on devine pour la malheureuse Ukraine …

Quels sont les risques pour l’Europe occidentale d’une poursuite de la guerre ?

Le Président Macron, en parlant du Covid a dit : « Nous sommes en guerre ». Une guerre qui a fortement affaibli l’Europe occidental. En se lançant dans une guerre contre la Russie, guerre qui ne dit pas son nom, l’Europe occidentale prend un très gros risque au moment où elle est affaiblie économiquement, financièrement mais aussi militairement (très dépendante du parapluie américain). L’Europe a-t-elle vraiment les moyens de se lancer dans une guerre (et à quelle fin ?) alors qu’elle est endettée jusqu’au coup et qu’elle est loin de s’être remise de la crise covid ? A l’inverse la Russie s’est admirablement bien sortie des sanctions occidentales. En avril 2023, Le FMI prévoyait même une croissance de l’économie russe.

D’autre part, l’Europe, en vivant une guerre sur son sol, risque de rater la grande transition énergétique en cours au profit de la Chine. Le Forum économique mondial parle de 4ème révolution industrielle. Cela signifie que toute l’attention et l’énergie du continent européen devrait se focaliser sur cette transition. Or, avec la guerre en Ukraine, cette transition passe au second plan.

Dans le passé, la Chine a raté son entrée dans la modernité en passant à côté de la machine à vapeur. C’est ce qui a permis à l’Occident de devancer l’Asie, laissant la Chine loin derrière. Aujourd’hui, la Chine peut prendre sa revanche et elle en est consciente. Dans le jeu en cours, la Chine a tout intérêt à un affaiblissement occidental. Et l’occident joue aussi contre la Chine puisque la technologie occidentale lui est de plus en plus inaccessible. Et entre l’occident et la Chine, la guerre en Ukraine … Nous sommes dans un grand jeu géostratégique avec des enjeux extrêmement importants puisqu’il s’agit de déterminer les futures sphères d’influence dans le monde.

Quid du peuple ukrainien ?

Je vous partage une histoire vécue récemment alors que je me trouvais en Thailande. J’avais rencontré un jeune d’une vingtaine d’années parlant russe. Je lui ai demandé d’où il venait. Il m’a répondu : d’Ukraine. Comme c’était la première fois que je parlais à un ukrainien depuis le début de la guerre, je lui ai posé des questions. Je lui ai demandé si ce n’était pas trop difficile pour lui d’être en Thailande, loin de sa famille. Il a alors commencé à pleurer. Il m’a dit qu’il ne voulait pas prendre les armes. Il ne voulait pas être au front. S’il rentrait en Ukraine, il serait immédiatement mobilisé. Il m’a dit aussi qu’il avait longtemps vécu à Moscou et qu’il connaissait du monde là-bas. En l’écoutant, j’ai alors vraiment pris conscience du traumatisme vécu par le peuple ukrainien. Un peuple pris en tenaille entre l’occident qu’il souhaite rejoindre et l’orient où il a ses racines.

Vers un changement des consciences ?

Durant des milliers d’année, l’humanité a vécu des cycles guerres-paix-guerres. Est-il nécessaire de passer par la guerre pour vivre un cycle de paix ? Lorsque l’on voit des enfants jouer à la guerre dès leur plus jeune âge et y trouver plaisir, on pourrait se demander si la guerre ne fait pas partie de l’ADN humain.

Peut-être qu’un jour une nouvelle conscience se fera jour où ce besoin guerrier cessera et où il sera possible d’évoluer autrement que par le conflit. Reste à espérer qu’un choc à l’échelle mondiale ne soit pas nécessaire pour arriver à ce basculement de la conscience humaine.

En conclusion

Au niveau géopolitique, nous sommes à une période charnière. Nous assistons à un rabattage capital des cartes. Les fondements hérités depuis 1945 sont remis en question, essentiellement par la puissance de la Chine qui peut maintenant rivaliser avec les Etats-Unis, jusqu’ici maître du jeu (notamment la place centrale du dollar dans l’économie mondiale). Toute l’architecture géopolitique est maintenant à l’aube d’un grand changement. Tous les acteurs le savent. On assiste à l’émergence de deux blocs : l’un mené par les Etats-Unis et l’autre par les pays du BRICS. Deux conceptions de l’avenir différence : d’un côté un monde unipolaire sous puissance américaine et de l’autre un monde davantage fondé sur le multilatéralisme.

L’Europe s’est engagée dans une stratégie très risquée qui aura un impact considérable sur sa place dans le monde. Plus le temps passe, plus la guerre justifie la guerre et plus les chances de négocier s’éloignent. Il est en tout cas clair que l’Europe de La Défense est en train de se réveiller, à commencer par l’Allemagne qui a augmenté ses dépenses militaires de manière spectaculaire. Il se peut que l’économie européenne se transforme en économie de guerre, tout comme cela fut le cas pendant la deuxième guerre mondiale.

La population européenne, confrontée à l’incertitude du futur (cas des retraites en France) et à une inflation galopante pourrait siffler la fin de la partie dans l’agenda guerrier. Quid de la Russie ? Face à un affaiblissement généralisé de l’occident (par exemple une crise financière majeure), la Russie pourrait prendre le risque de mener des actions préventives contre l’Europe. Espérons qu’il n’en sera rien.

Comment rester informé correctement ?

Dans cette guerre, on assiste à une multiplication de fake news, d’autant plus facilement que l’intelligence artificielle permet de créer des images et des vidéos qui sont confondues très facilement avec la réalité. Il est essentiel de multiplier ses sources d’informations en se connectant à différentes sources. Comme le dit Alain juillet au début d’une de ses conférences, il est important de diversifier ses sources d’information pour croiser ces informations et les points de vue. Seulement alors il est possible de se forger une opinion personnelle la plus objective possible.

Lorsque je lis des journaux comme Le Monde, Le Figaro, La Libre Belgique, Le Soir (et beaucoup d’autres) et que j’écoute des journaux télévisés sur RTBF, Antenne 2, TF1, BFM TV, LCI, … j’entends des informations qui vont toujours dans le même sens : les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Et lorsqu’un invité veut parler en faveur du méchant, il est vigoureusement remis à sa place par le journaliste. C’est pourquoi je suggère d’écouter aussi d’autres points de vue. Il ne s’agit pas de dire quel media a raison. Il s’agit d’enrichir ses sources d’information pour se construire sa propre opinion.

Voici quelques journalistes et écrivains qui proposent d’autres points de vue : Emmanuel Todd, Michel Collon, Caroline Galacteros, Sud Radio, et beaucoup d’autres à découvrir en prenant le temps d’investiguer.

Dans la lignée du conflit en Ukraine : le conflit entre Israël et le Hamas

Nous sommes le 30 octobre 2023. Il me semble utile d’ajouter un complément à cet article concernant le conflit ukrainien. Le conflit en cours entre Israël et le Hamas répond exactement au même schéma.

Nous assistons à une triangulaire Bourreau / Victime / Sauveur.

Lorsque l’on prend en compte les résolutions des Nations-Unies par rapport à l’occupation des territoires palestiniens, lorsque l’on observe l’extension des colonies en Cisjordanie et le fait que Gaza était devenue une prison à ciel ouvert, nous pouvons considérer dans un premier temps les palestiniens comme des victimes.

Début octobre, le Hamas a tué plus de mille israéliens, faisant alors d’Israël une victime. Israël a alors occupé la bande de Gaza, provoquant des milliers de morts dans l’enclave. Les palestiniens devient à leur tour des victimes.

Et le rôle des uns et des autres tournent dans le triangle.

Si on se réfère aux sources bibliques : Abraham est le Père de la nation juive ET de la nation musulmane. Isaac et Ishmaël pourront-ils un jour se réconcilier ?

Comme pour l’Ukraine, il est essentiel de pouvoir diversifier ses sources d’information pour se forger sa propre opinion. A ce sujet, je renvoie à l’interview de Michel Collon qui est journaliste indépendant.

Auteur/autrice : Xavier Denoël

Formateur, Coach, Psychothérapeute, Médiateur