ARTICLE INACHEVE ENCORE EN REDACTION


« C’est la responsabilité des intellectuels de dire la vérité et de dévoiler les mensonges. » Noam Chomsky
En guise d’introduction
Chaque conflit dans le monde peut être vu sous un regard différent. L’historien la verra sous l’angle de l’histoire, l’anthropologue sous l’angle des sociétés humaines, le militaire sous l’angle de la sécurité par les armes, … C’est la diversité des points de vue qui permet de saisir la vraie réalité d’une situation. En ce qui me concerne, je proposerai un regard psycho-géopolitique sur la situation en Ukraine.
La psychologie offre un regard intéressant dans la mesure où elle met en lumière des schémas inconscients qui gouvernent nos pensées et nos actions que ce soit à l’échelle individuelle ou collective. Dans cet article, je m’appuyerai sur le triangle dramatique de Karpman, un modèle de référence dans la gestion des conflits.
Le triangle de Karpman met en scène trois joueurs : le persécuteur, la victime, le sauveur. Karpman avait eu l’intuition de ce triangle en observant une pièce de théâtre où le mari maltraitait sa femme (ce qui le mettait dans le rôle du persécuteur), l’épouse était maltraitée (rôle de la victime) et, en désespoir de cause, elle trouvait dans son amant un sauveur. Dans la suite de la pièce, l’épouse se réconcilia avec son mari, et ensemble, ils devinrent les persécuteurs de l’amant qui pris le rôle de … la victime. Il s’agit donc d’un jeu à trois où les joueurs peuvent changer de rôle.
Le triangle de Karpman est aussi appelé « triangle dramatique ». Il exacerbe le conflit en créant une force centripète dont il est difficile de se libérer. Les interventionnistes sont enfermés dans leur rôle et la communication est coupée. C’est exactement ce à quoi l’on assiste dans le conflit ukrainien. Dans cet article, je vais tenter d’éclaircir le rôle de chaque acteur (Ukraine, Russie, bloc occidental) à partir de ce modèle.
Le triangle de Karpman peut être vu sous trois niveaux de conscience différents : le niveau de conscience grossier, le niveau de conscience subtil et le niveau de conscience plus évolué que je nommerai « spirituel ». Le premier niveau se situe à un stade que l’on pourrait qualifier d’infantile. Le deuxième niveau met en lumière les véritables intérêts en présence. Le troisième niveau permet à chacun de faire évoluer son rôle et de sortir de la dynamique dramatique. En mars 2023, je situerais le niveau actuel au niveau 1 : le niveau infantile, avec ses conséquences en terme de morts et de destructions.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite histoire …
L’histoire de la grenouille insouciante
Je suis né 20 années après la deuxième guerre mondiale. Ma naissance à cette période de l’histoire humaine m’a permis de vivre dans une ère de prospérité et de paix inégalée dans l’histoire humaine. Du moins en ce qui concerne le monde occidental. Après 1945, nos grands-parents ont dit : « plus jamais cela ! ». C’est ainsi que furent créées des structures internationales pour éviter de retomber dans les horreurs de la période nazie : notamment l’ONU aux niveau mondial et la CECA au niveau européen (devenue l’Union européenne depuis). Il y avait deux camps : les capitalistes d’un côté représenté par les Etats-Unis et les communistes de l’autre représentés par l’Union soviétique. L’équilibre des deux camps, assuré par la dissuasion nucléaire, a permis de garantir la paix en occident et, de là, la prospérité.
Avec la chute du mur de Berlin en 1989, l’Union soviétique s’est effondrée et le bloc occidental s’est déclaré vainqueur de la guerre froide. Pourtant, à cette date, l’équilibre entre deux blocs a disparu. Avec la défaite de « son ennemi », le bloc occidental, porte drapeau du capitalisme, a paradoxalement perdu une identité fondée sur sa différence. Il est progressivement devenu son propre ennemi. Les crises financières et économiques qui se sont succédées depuis reflètent un capitalisme en fin de course qui cherche désespérément à se réinventer. La crise ukrainienne est la suite douloureuse d’un long processus qui a démarré depuis 1989.
La nouvelle génération au pouvoir a progressivement perdu le fil historique et le sens des évènements. Elle n’a pas connu la guerre et a préféré jouer la carte de l’arrogance plutôt que celle de la négociation. Démarré il y a un an (février 2022), le conflit prend de l’ampleur. Au fil des mois, la puissance des armes utilisées sur le terrain a augmenté. Le 21 février, le Président Poutine a suspendu le traité New Start sur le désarmement nucléaire. Des armes nucléaires vont aussi être installées par la Russie sur le territoire de son allié biélorusse.
Encore tétanisée par la récente crise sanitaire, l’Europe ne semble pas consciente du danger alors qu’elle a été le théâtre de guerres répétées durant des siècles. Les 30 glorieuses après 1945 ne furent qu’une parenthèse dans son histoire. L’Europe ressemble curieusement à la grenouille dans un casserole d’eau qui chauffe progressivement. La température augmente et la grenouille ne voit rien venir. Au final, la grenouille meurt ébouillantée.
Comment réagit la population européenne face à cette escalade ? Epuisée par la récente crise sanitaire, confrontée à une augmentation des prix sans précédent, elle assiste au « spectacle » devant ses écrans de télévision. Au moment d’écrire ces lignes, la France est secouée socialement par la réforme des retraites. Les retraites existeront-elles encore si la guerre ravage une nouvelle fois notre continent ? Il y a comme un aveuglement généralisé par rapport aux urgences.
Les trois acteurs du triangle
Dans le conflit en Ukraine, nous pouvons identifier clairement trois acteurs :
la Russie est le persécuteur puisqu’elle est entrée en Ukraine en violation du droit international.
l’Ukraine est la victime puisqu’elle est soumise au feu de l’armée russe.
le monde occidental est le sauveur puisqu’il fournit des financements et des armes à l’Ukraine pour défendre l’Ukraine.
Analysons plus en détail …
La Russie dans le rôle de persécuteur
Le 24 février 2022, la Russie commence son « opération spéciale » contre l’Ukraine. Elle joue donc le rôle du persécuteur dans le triangle. Les faits sont indiscutables :
- la Russie entre avec son armée en Ukraine (agresseur/persécuteur)
- l’Ukraine est violée dans ses frontières (agressée/victime)
- le bloc occidental vient au secours de l’Ukraine qui ne peut se défendre seule face à la puissante Russie (sauveur).
Comme je l’ai noté plus haut, ce schéma à trois joueurs peut être vu de manière très infantile : la Russie c’est le camp du mal, l’Ukraine c’est la victime qu’il faut sauver de la (méchante) Russie; l’occident, c’est le camp du bien car il vient secourir la victime.
Cette vision simpliste correspond à celle proposée dans les films à succès qui font exploser le box office (type Avatar 2 pour rester dans l’actualité récente). Dès le départ, on connait les bons et les méchants. A la fin du film, ce sont les bons qui gagnent car ils sont dans le camps du bien. Le schéma hollywoodien des films à succès fonctionne très bien auprès du grand public. Rappelons-nous le discours prononcé par G.W. Bush sur un porte-avion après la victoire en Irak. La mise en scène faisait clairement penser au film Top Gun : « mission accomplie« . Comme le disait récemment Dominique Villepin (ancien ministre français des affaires étrangères) dans une interview sur la 2ème guerre du golf, il est facile de manipuler une population.
Essayons de voir maintenant comment l’histoire européenne pourrait renforcer la triangulaire de Karman.
Après 1945, les pays de l’Est ont eu la malchance d’être du mauvais côté du rideau de fer. Ils furent privés de leurs droits fondamentaux, vivant jusqu’en 1989 sous le joug du « grand frère soviétique ». On comprend dès lors les préoccupations sécuritaires d’un pays comme la Pologne qui s’est vue plusieurs fois dans l’histoire victime du « grand frère » russe/soviétique . Cet article, qui concerne l’Estonie, pourrait s’appliquer aux autres pays de l’Est. Voici aussi un interview télévisé du Premier ministre polonais.
Aujourd’hui, la Russie n’est plus l’Union soviétique et Poutine n’est pas Staline. Néanmoins, la peur liée au passé joue encore un rôle non négligeable. Cette peur fait certainement le jeu de ceux qui refusent toute négociation. Le Président russe est actuellement accusé de crime de guerre par la Cour Internationale Pénale de La Haye. Cette accusation, même si elle n’a aucune chance d’aboutir (la Russie n’est pas signataire), rend encore plus compliquée une future négociation.

L’Ukraine dans le rôle de la victime
La place de l’Ukraine dans le triangle dramatique est indéniable. L’Ukraine est la victime. En mars 2014, l’Ukraine s’est vue amputée de la Crimée. Elle n’a pas eu les moyens de se défendre. Depuis février 2022, elle est maintenant victime d’une nouvelle agression russe. Elle a cette fois décidé de prendre les armes et a sollicité l’aide occidentale. Elle paye actuellement un très lourd tribut face à un pays puissant, non seulement au niveau humain mais aussi au niveau de ses infrastructures.
Le Président ukrainien est un ancien acteur. Il est maître dans l’art de jouer la corde sensible de la victime et nous ne pouvons l’en blâmer. Toutes les occasions sont bonnes pour renforcer la Russie dans le camp du mal, quitte à se discréditer en s’avançant trop vite dans l’interprétation de certains évènements. Néanmoins, Comme le dit cet article, le Président ukrainien a encore une longueur d’avance sur la Russie dans la guerre médiatique qui se joue. Des pays comme la Corée du Sud analyse d’ailleurs attentivement la stratégie médiatique du Président Zelenski qui s’intègre parfaitement dans le nouveau paysage technologique actuel.
Face à la victime, la pression psychologique sur les dirigeants occidentaux est forte. Au nom des valeurs européennes, on ne peut laisser la victime sans défense face au géant russe. On assiste à une surenchère entre les pays occidentaux pour celui qui fournira le plus d’aide à l’Ukraine, y compris au niveau militaire. On voit aussi les leaders occidentaux s’empresser de serrer la main du Président ukrainien en lui promettant des armements de plus en plus sophistiqués.
Il y a néanmoins un paradoxe dans l’attitude européenne : à la fois un discours fort pour aider l’Ukraine et en même temps des actions timides et non coordonnées. Quelques chars allemands, britanniques, français, américains peuvent-ils constituer véritablement une force coordonnée face à l’armée russe qui dispose d’un matériel parfaitement interconnecté ? Qui va former les militaires ukrainiens à l’utilisation de ces différents systèmes d’armement ? Le Président Zelenski n’est pas dupe de cet engagement timoré du bloc occidental et ne se prive pas de le dénoncer publiquement.
Il est aussi un élément qu’il est important de mentionner. La corruption en Ukraine était largement répandue avant l’invasion russe. Même durant l’invasion russe, des détournements de fonds ont été dénoncés. Bien que le Président Zélenski ait pris des mesures fortes à ce sujet, la corruption mine encore la crédibilité du discours ukrainien.
L’Occident dans le rôle du sauveur
En aidant financièrement et militairement l’Ukraine, le camp occidental joue le rôle de sauveur dans le triangle de Karpman. Question : pourquoi le bloc occidental intervient-il ? Sur base de quel motif ? A vrai dire, la réponse n’est pas si claire que cela. Dans le discours officiel, il s’agit de défendre un pays agressé par la Russie au nom des principes démocratiques. Néanmoins, les actions préconisées ne font pas l’unanimité au niveau européen. On voit par exemple à quel point l’Allemagne, pour des raisons historiques et économiques, est encore frileuse dans son engagement vis-à-vis de l’Ukraine et dans les sanctions contre son fournisseur de gaz et de pétrole (même si les livraisons ont drastiquement diminué, elles n’ont pas complètement stoppé).
Il y a plusieurs explications à cette frilosité de l’Allemagne et d’autres états européens. Tout d’abord la guerre se joue sur le sol européen. Ce qui n’est pas le cas des USA. Ensuite, l’Europe a été très dépendante de la Russie au niveau économique (énergie bon marché). Même si sa dépendance est fortement réduite, elle reste une réalité. Enfin, et c’est certainement l’explication la plus plausible : l’Europe paye sa dépendance militaire aux Etats-Unis. Pour différentes raisons, l’Europe s’est concentrée sur son développement politique et non sur son développement militaire. Elle en paye maintenant le prix fort. Elle est obligée de suivre la ligne imposée par le protecteur américain. A l’heure actuelle, dans une guerre conventionnelle, elle serait incapable de s’imposer seule face à la Russie.
De la vision simpliste à la vision complexe
La vision simpliste du triangle permet d’identifier le camp du bien et le camp du mal. Mais est-ce vraiment aussi simple comme l’exprime Henri Guaino dans cette vidéo ?
Le scénario du bien et du mal est accessible à une population plus préoccupée à gérer son quotidien qu’à comprendre la complexité du monde actuel. Le danger est qu’il permet de gagner facilement l’approbation de la population pour aller de l’avant dans l’escalade. Si la population est convaincue d’être dans le camps du bien, elle ne s’opposera pas à l’augmentation des budgets militaires et à des interventions armées. J’en prends pour exemple la deuxième guerre du Golf, lancée notamment sur la présomption que l’Irak était en possession d’armes de destruction massive (Discours du Général Powel aux Nations Unies en 2003). Une fois en Irak, rien n’a été trouvé. Le mal était pourtant fait. On en connaît les conséquences catastrophiques qui en ont résulté pour toute la région.
Pour sortir de la vision simpliste proposée sur le conflit ukrainien, il faut commencer à se poser les bonnes questions. Essayons …
Première question : la guerre a-t-elle vraiment commencé en 2022 ?
Dans les faits, la guerre a commencé en février 2022, lorsque la Russie est entrée en Ukraine. Lorsqu’on remonte dans le temps, qu’observe-t-on ? Les germes de la guerre était déjà présents. Depuis plusieurs années, la Russie avait fixé une ligne rouge au bloc occidental : pas question que l’OTAN s’élargisse jusqu’à la frontière avec la Russie. Ecouter l’interview du journaliste d’investigation Michel Collon à ce sujet. De même l’interview de Caroline Galacteros (à partir de la minute 9) qui se pose la question du début véritable de cette guerre : 2022 ? Ou 2014, année où les accords de Minsk n’ont plus été respectés (plus de 14000 morts dans la région du Donbass) ?
Deuxième question : le camp occidental peut-il se permettre de donner des leçons ?
Un mandat d’arrêt international à l’encontre de Vladimir Poutine a été lancé par le tribunal pénal international (TPI) de La Haye en date du 17 mars 2023. Cette annonce est purement politique vu que la Russie n’a pas signé la convention qui institue le TPI. Elle manifeste néanmoins un refus de dialogue avec le Président russe. Négocie-t-on avec un homme accusé de crime ? Cette action judiciaire, pilotée par le politique, est extrêmement dangereuse car elle ferme davantage la porte pour une fin négociée du conflit.
Le camp occidental se situe dans le camps du bien et se pose en donneur de leçons. A-t-il pourtant assumer les conséquences de ses actions en Yougoslavie, en Irak, en Syrie ou en Libye comme s’interroge cet article ? Le danger de cette posture est qu’elle peut justifier toutes les actions et qu’elle rompt toute possibilité de négociation.
Troisième question : quels sont les vrais enjeux de cette guerre ?
C’est la question fondamentale. Quels sont les divers intérêts dans ce conflit ? Une guerre ne se déclenche par hasard. Pour comprendre ses enjeux, il faut mettre en lumière les intérêts des uns et des autres.
Il ne fait aucun doute que les Etats-Unis sont les grands gagnants de cette guerre. J’invite le lecteur à écouter cette vidéo qui ne relate que des faits. Le conflit a coupé l’Europe de la Russie, ce qui a rendu l’Europe encore plus dépendante du continent américain au niveau énergétique. Aucune lumière n’a encore été faite sur l’exposition des pipeline Nordstream reliant la Russie à l’Europe. La publication de Seymour Hersh, un journaliste d’investigation américain, a néanmoins fait l’objet d’une bombe dans le paysage médiatique. Les européens achètent maintenant du gaz de schiste américain au prix fort (ce qui a sauvé leur filière par la même occasion) alors qu »ils prônent l’écologie et la transition énergétique « verte ».
Il y a sans doute encore un intérêt beaucoup plus important pour les Etats-Unis : la suprématie du dollar au niveau du commerce mondial qui a permis aux Etats-Unis de vivre largement au-dessus de leur moyen (l’endettement américain a dépassé les 30.000 milliards de dollars en 2022). Une perte de confiance dans le dollar américain amènerait l’écroulement du système financier mondial. Le chercheur américain Brzezinski avait mis en évidence la place pivot de l’Ukraine pour sauvegarder la suprématie américaine. Voir à ce propos cet article très instructif.
Paradoxalement, les sanctions occidentales qui visaient l’écroulement de la Russie ont paradoxalement accéléré la mise en place d’une alternative au dollar avec le soutien tacite de la Chine et d’autres pays. Nous sommes donc dans une transition majeure au niveau géopolitique.
D’autres acteurs dans l’ombre ont aussi beaucoup à gagner dans cette guerre :
Dans son discours de fin d’investiture, le Président américain Eisenhower, avait mis en garde sur la puissance du complexe militaro-industrielle et le risque qu’il pourrait représenter. Pour les vendeurs d’armes, l’Ukraine est un nouveau marché. La guerre offre un double intérêt : d’abord tester des armes de nouvelle génération sur le terrain (vitrine pour les futurs clients) et ensuite justifier l’augmentation des budgets militaires.
Qu’en est-il de la Russie ?
La Russie a mis en évidence son besoin de sécurité par rapport à l’OTAN qui s’approchait dangereusement de ses frontières. Elle a mis aussi en avant la protection des populations russophones de l’Ukraine (des milliers de mors depuis 2014).
Lorsqu’on va plus loin, on peut aussi identifier d’autres intérêts. La Russie a été humiliée par la perte de la guerre froide. Les discours de Poutine ont des accents patriotiques bien prononcés pour mettre en évidence la grandeur de la Russie et la décadence occidentale. Il y a aussi des arguments visant à considérer l’Ukraine comme faisant partie historiquement de la Russie. Il y a des relans impérialistes qu’il ne faut pas sous-estimer. La guerre en Ukraine permet de renforcer et d’unir la Russie autour d’un grand dessein.
Quid des perdants ?
La population ukrainienne semble être l’enjeu d’intérêts qui la dépasse. Le conflit actuel offre l’avantage de cibler les pertes et les destructions sur le seul terrain ukrainien, ce qui est beaucoup plus acceptable pour la population occidentale. La guerre n’a pas d’âme et la population ukrainienne paye le prix fort.
Le grand basculement géopolitique en cours semble s’être concentré sur la malheureuse Ukraine. Les grandes puissances ont trouvé un intermédiaire qui permet d’éviter une confrontation directe entre eux et qui met à l’abris leur population respective. L’Ukraine est le terrain de jeu et le monde, en spectateur, compte les points et observent avec attention qui en sortira vainqueur.
On ne peut douter que le président ukrainien se batte pour les intérêts ukrainiens. Sa stratégie médiatique actuelle offre des avancées en terme de fournitures de financements et d’armes de guerre (des missiles à courte portée, puis des chars et bientôt peut-être des avions). Par contre, dans la grande réorganisation géopolitique en cours, il est clairement le jouet d’intérêts qui dépassent les intérêts de son peuple. Si l’Ukraine venait être « lâchée », la désillusion serait grande. Que de pertes, que de destructions pour rien …
Qu’en est-il de l’Europe ?
Elle est aussi un grand perdant. Les sanctions contre la Russie ont aggravé la facture énergétique. L’inflation héritée de la crise sanitaire n’a fait que se renforcer. L’Europe doit maintenant acheter son énergie ailleurs et à un prix beaucoup plus élevé. La sanction pourrait venir de la population qui commence à réagir par des grèves massives.
Beaucoup plus grave, l’Europe risque de voir se généraliser le conflit à tout le continent. Poutine avait parlé de l’ours russe qu’il ne fallait pas chatouiller au risque de le voir sortir ses griffes. Beaucoup n’ont pas prêté attention à ce « détail ». La Russie est en train de transformer son économie en économie de guerre et cela a déjà commencé certainement déjà plusieurs années. Ce qui en fait l’armée la plus puissante du continent, avec le risque de dérives potentielles.
Troisième point : la fin des structures héritées de la deuxième guerre mondiale
Au niveau géopolitique, nous sommes à une période charnière. Nous assistons à un rabattage capital des cartes. Les fondements hérités depuis 1945 sont remis en question, essentiellement par la puissance de la Chine qui peut maintenant rivaliser avec les Etats-Unis, jusqu’ici maître du jeu (notamment la place centrale du dollar dans l’économie mondiale). Toute l’architecture géopolitique est maintenant à l’aube de grand changement. Tous les acteurs le savent. C’est le leadership mondial qui se joue actuellement.
La multiplication des sources d’information liée au développement internet a aussi amené à une inflation des fake news, le vrai et le faux se mélangeant allègrement. La vérité est souvent apportée par des lanceurs d’alerte et des journalistes d’investigation indépendants mais vu que leur voix est largement minoritaire, elle est souvent discréditée. L’épouvantail du complotisme est mis en avant pour réduire au silence les voix dissonantes sur les réseaux sociaux. A ce propos, cette vidéo sur le terrorisme intellectuel. Le citoyen doit faire un énorme effort pour visiter les différentes sources d’information et se faire sa propre opinion. Dans une société en décadence intellectuelle, c’est un vrai défi …
Comment sortir du triangle ?
Tout d’abord, il est important de souligner que les puissances de la planète ne partagent pas la même vision sur l’issue du conflit. Voici les résultats d’un sondage du Conseil européen pour les relations internationales. L’occident mise sur les armes pour mettre fin à la guerre par le pouvoir des armes. Le reste du monde préconise la négociation pour y mettre fin.
Pour qu’une négociation soit lancée, il sera nécessaire dans un premier temps d’identifier tous les acteurs de cette guerre et leurs agendas. Dans le dossier Nordstream par exemple, qui est un dégât collatéral de la guerre ukrainienne, aucune lumière n’a encore été faite sur le véritable responsable du dynamitage. Ceci alors que les satellites actuels permettent d’identifier une roue de vélo depuis la stratosphère.
Dans un deuxième temps, les intérêts et besoins de chacun devront être exprimés.
Quels sont les véritables besoins des acteurs ?
En ce qui concerne l’Ukraine, il est clair que c’est la sécurité. Ce pays est enclavé entre le monde occidental auprès duquel il cherche protection (OTAN) et son intégration (UNION EUROPEENNE) et la Russie avec qui elle partage des liens historiques et économiques importants.
Quant à la Russie, elle avait mis en avant son besoin de sécurité face à l’OTAN ainsi que la respect des accords de Minsk qui visaient à protéger la population russophone d’Ukraine. A l’analyse, il y aurait aussi d’autres éléments qui pourraient alimenter l’intervention russe : à la fois l’humiliation de la perte de la guerre froide contre l’occident et l’impérialisme de la grande Russie historique. Voici le discours à fort accent patriotique donné par Vladimir Poutine le 21 février 2023.
En ce qui concerne l’occident, le besoin ne semble pas très clair. Pourquoi aider l’Ukraine alors qu’il n’y a pas d’intérêt vital lié à ce pays ? Dans le discours, il s’agit de venir en aide à un pays agressé. Pourquoi alors ne pas venir en aide de la même manière à tous les pays agressés sur cette terre ? L’action en elle-même semble légitime. On pourrait néanmoins se questionner sur l’existence d’agendas cachés. L’objectif ne serait-il pas d’appliquer à la lettre la doctrine Brzezinski ?
Les perspectives d’une négociation
Dans le discours officiel, le camp occidental affiche qu’il veux la paix tout en fournissant des armes de guerre de plus en plus lourdes à l’Ukraine. Le message est difficile à comprendre, tant il est paradoxal. Peut-on gagner la paix par la guerre ? Est-ce la seule voie possible pour obtenir la paix ? La vérité c’est qu’il faut affaiblir la Russie dans la perspective de futures négociations. La position russe est similaire : entrer dans les négociations futures en position de force. Le résultat est une escalade militaire sur le terrain. Mais un des belligérants peut-il vraiment gagner ?
Si nous partons du principe que personne ne peut gagner cette guerre, un accord équilibré pourrait être le suivant :
- La Russie accepte de rendre la Crimée indépendante sous l’égide des Nations-Unies
- Les populations russophones de l’Ukraine bénéficient d’une protection spéciale des Nations-Unies
- L’Ukraine accepte un statut de neutralité (comme la Suisse) mais peut négocier des accords économiques avec ses voisins.
A vrai dire, vu l’escalade en cours, la perspective d’une négociation basée sur l’équilibre entre les intérêts semble s’éloigner progressivement. Il semble que l’issue serait la victoire de l’un ou l’autre camp … Avec les conséquences que l’on devine pour la malheureuse Ukraine …
Quels sont les risques pour l’Europe occidentale d’une poursuite de la guerre ?
Le Président Macron, en parlant du Covid a dit : « Nous sommes en guerre ». Une guerre qui a fortement affaibli l’Europe occidental. En se lançant dans une guerre contre la Russie, guerre qui ne dit pas son nom, l’Europe occidentale prend un très gros risque au moment où elle est affaiblie économiquement, financièrement mais aussi militairement (très dépendante du parapluie américain). L’Europe a-t-elle vraiment les moyens de cette guerre alors qu’elle est endettée jusqu’au coup et qu’elle est train loin de s’être remise de la crise covid ? A l’inverse la Russie s’est admirablement bien sortie des sanctions occidentales, ce qui montre qu’elle se préparait depuis des années à cette guerre et aux sanctions.
D’autre part, l’Europe, en vivant une guerre sur son sol, risque de rater la grande transition énergétique en cours au profit de la Chine. Le Forum économique mondial parle de 4ème révolution industrielle. Cela signifie que toute l’attention et l’énergie du continent européen devrait se focaliser sur cette transition. Or, avec la guerre en Ukraine, cette transition passe au second plan.
Dans le passé, la Chine a raté son entrée dans la modernité en passant à côté de la machine à vapeur. C’est ce qui a permis à l’Occident de devancer l’Asie, laissant la Chine loin derrière. Aujourd’hui, la Chine peut prendre sa revanche et elle en est consciente. Dans le jeu en cours, la Chine a tout intérêt à un affaiblissement occidental. Et l’occident joue aussi contre la Chine puisque la technologie occidentale lui est de plus en plus inaccessible. Et entre l’occident et la Chine, la guerre en Ukraine … Nous sommes dans un grand jeu géostratégique avec des enjeux extrêmement importants puisqu’il s’agit de déterminer comment se découperont les sphères d’influence sur la planète entre les grandes puissances.
L’Ukraine ne serait-elle qu’un « pion » dans un jeu géopolitique beaucoup plus global ? L’Ukraine, victime collatérale d’un jeu qui la dépasse ? Si c’est vraiment le cas, il y a là une manipulation de ce pays par des acteurs dont les véritables intérêts restent cachés.
L’impact pour le peuple ukrainien ? Je vous partage une histoire vécue récemment alors que je me trouvais en Thailande. Lors d’un cours, j’avais entendu un jeune d’une vingtaine d’années parlant russe. Il suivait le cours avec son amie. Je lui ai demandé d’où il venait. Il m’a répondu : d’Ukraine.
Comme c’était la première fois que je parlais à un ukrainien depuis le début de la guerre, je lui ai posé des questions. Je lui ai demandé si ce n’était pas difficile pour lui d’être en Thailande alors que ses proches étaient en Ukraine. Il a alors commencé à pleurer. Evidemment que c’était très dur pour lui. Il ne voulait pas prendre les armes. Il ne voulait pas être au front. S’il rentrait en Ukraine, il serait immédiatement mobilisé pour le front. Il m’a dit aussi qu’il avait longtemps vécu à Moscou et qu’il connaissait du monde là-bas. En l’écoutant, j’ai alors vraiment pris conscience du traumatisme vécu par l’Ukraine et des dégâts psychologiques en cours. Un peuple pris en tenaille entre l’occident qu’il souhaite rejoindre et l’orient où il trouve ses racines.
Ma conclusion est que l’Europe s’est engagée dans une stratégie très risquée qui aura un impact considérable à moyen et à long terme. Plus le temps passe, plus la guerre justifie la guerre et plus les chances de négocier s’éloignent. Que faire ? Peut-être prier pour que des dirigeants responsables comprennent enfin le danger qui menace notre vieille Europe après des décennies de paix et de prospérité.